« Le discours n’engage que celui qui l’écoute ». Voilà une phrase que tout salarié devrait graver quelque part dans un coin de sa conscience. Dans le monde de l’entreprise, où le pouvoir circule autant par les actes que par les mots, ce proverbe agit comme un vaccin contre la naïveté. Car si la parole est un outil, elle peut aussi devenir une arme. Et certains managers l’ont bien compris — surtout ceux qui, faute de compétence, n’ont que la manipulation pour rester en place.

Prenons l’exemple de Howard S., jeune cadre ambitieux recruté dans une grande entreprise du secteur tertiaire. Dès son arrivée, il est placé sous la responsabilité d’un manager, Monsieur D., en poste depuis dix ans. Ce dernier est un homme au profil trouble : il n’a pas de résultats exceptionnels, mais il sait parfaitement naviguer dans les jeux politiques internes. Sa stratégie est simple : conserver sa place coûte que coûte, même si cela implique de freiner la montée en compétence de ses collaborateurs.

Dès les premières semaines, Monsieur D. inonde Howard S. de compliments : « Tu as un grand potentiel », « Je te vois très vite évoluer ici », « Tu as un profil rare, tu sais ? ». Motivé, Howard redouble d’efforts, propose des projets, travaille tard, cherche à apporter de la valeur. Mais à mesure que son implication augmente, les signaux contradictoires se multiplient : ses dossiers sont toujours « pas encore prioritaires », ses propositions sont « intéressantes mais à revoir », et ses réussites sont systématiquement récupérées par son manager, qui se les attribue habilement en réunion de direction.

En coulisses, Monsieur D. entretient un double discours. Il dit à ses supérieurs que Howard S. est encore « un peu vert », qu’il « faut le canaliser », qu’il « a besoin d’encadrement ». Et surtout, il veille à ne jamais laisser Howard trop briller. Il bloque ses demandes de mobilité interne, sabote discrètement ses perspectives d’évolution, tout en continuant à lui tenir un discours positif en face : « C’est pas encore le bon moment, mais t’inquiète, je te prépare quelque chose ».

Ce type de manipulation repose sur une mécanique redoutable : mettre en confiance pour mieux désarmer. Le manager toxique n’attaque pas frontalement. Il ne critique pas ouvertement. Au contraire, il valorise, il cajole, il encourage… mais uniquement pour instaurer une dépendance émotionnelle chez l’employé. Une fois que celui-ci croit être compris, soutenu, voire privilégié, il baisse la garde. Il donne le meilleur de lui-même. Il se montre loyal. C’est à ce moment-là que le sabotage commence. Progressivement, sans bruit. Le manager freine une demande, annule une opportunité, détourne un succès, discrédite une initiative… tout en maintenant un langage positif pour neutraliser la réaction.

C’est là où réside la perversité du procédé : on détruit quelqu’un tout en lui faisant croire qu’on l’aide. Et lorsque l’employé commence à douter, à ressentir l’incohérence entre les discours et les faits, il se retrouve souvent isolé. Car extérieurement, tout semble « normal ». Il devient difficile de prouver la mauvaise foi de son supérieur, puisque ce dernier a soigneusement enrobé chaque sabotage d’un discours bienveillant.

Ce genre de management — mélange de fausses promesses, de double langage, et de sabotage feutré — est insidieux. Il ne se voit pas tout de suite. Il fonctionne précisément parce que les victimes y croient. Parce qu’elles pensent que ce qui est dit est le reflet de ce qui sera fait. Or, dans ce genre de relation professionnelle toxique, le discours est un piège. Il est là pour désarmer, pour maintenir dans l’attente, pour neutraliser les ambitions sans faire de vagues.

Le problème, c’est que la plupart des collaborateurs veulent y croire. Ils veulent penser qu’un manager est là pour les faire grandir, pour les accompagner. Mais ce n’est pas toujours le cas. Certains managers n’ont aucun intérêt à faire monter en puissance ceux qui les dépasseraient. Et puisque leurs propres compétences ne suffisent pas à imposer le respect, ils utilisent la parole pour semer la confusion. Des discours creux mais rassurants, des promesses jamais tenues, des annonces floues… Tout cela construit un écran de fumée derrière lequel se joue une tout autre partie : celle de la préservation de leur position, aux dépens des carrières qu’ils devraient soutenir.

Dans ce genre de contexte, l’adage prend toute sa force : le discours n’engage que celui qui l’écoute. Celui qui l’utilise le fait souvent en pleine conscience de son pouvoir illusoire, alors que celui qui l’écoute, s’il y croit, s’y engage avec sincérité. Et c’est bien là que le piège se referme : on ne trahit que ceux qui font confiance.

C’est pourquoi il est essentiel de développer une écoute lucide. Observer les actes plus que les mots. Évaluer un manager non sur ce qu’il dit, mais sur ce qu’il permet réellement. A-t-il fait progresser d’autres collaborateurs avant vous ? Tient-il parole ? Agit-il dans la transparence ? Ou bien recycle-t-il toujours les mêmes formules pour gagner du temps, pour repousser, pour maintenir l’illusion de l’opportunité future ?

Se protéger de ce type de management toxique, ce n’est pas devenir méfiant de tout — c’est devenir exigeant face aux paroles non suivies de faits. C’est comprendre qu’en entreprise, la communication peut être un outil de mobilisation, mais aussi un instrument de domination. Et que souvent, ceux qui parlent le plus sont ceux qui font le moins.

Finalement, dans un monde professionnel où les carrières se jouent parfois à un mot près, il vaut mieux être sourd à un discours flatteur que prisonnier d’une promesse creuse. Le pouvoir des mots est réel. Mais il ne devient dangereux que lorsqu’on les écoute sans les confronter aux actes.


By root

2 thoughts on “Promesses en l’air, carrières à terre : un management par manipulation ?”
  1. Salut, très subtile mais ça arrive souvent que l’on ne le croit Yannick. Force à ceux et celle qui subit ce genre de truc au boulot.
    PS: j’adore ton profil sur l’onglet « about me »
    Peace !

  2. Well said Yannick! You point exactly on the way that they manipulate, those who are with soft-mind!

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